Pragmatique, prudente, rigoureuse, disciplinée… Les mots généralement employés pour décrire Angela Merkel laissent peu de place au lyrisme. Mais ils décrivent bien celle qui a su incarner la stabilité pour ses compatriotes et dont la cote de popularité n’a jamais été aussi haute ces derniers mois.
Son nom a donné naissance à un néologisme en Allemagne : « merkeliser ». C’est-à-dire avancer à petits pas, sans éclat, mais arriver au but. Paradoxalement, la première femme d’Allemagne à accéder au titre de chancelière et qui est parvenue à dominer la scène européenne, conserve une part de mystère. Ce n’est pas seulement lié au fait qu’elle accorde peu d’interviews. C’est la nature même de son sens du leadership qui intrigue. Comme si Angela Merkel incarnait un pouvoir modeste en voie de disparition.
« Vous ne trouverez aucun autre dirigeant qui décide de ne pas se représenter, alors que sa popularité pouvait le lui permettre. Merkel est unique aussi par son destin […] Ses trente-cinq premières années passées sous la dictature communiste lui ont donné une force particulière pour se faire une place dans un monde d’hommes, et un sens de la liberté qui a guidé son action » explique à l’hebdomadaire Elle la grand reporter Marion Van Renterghem qui lui a consacré deux livres (Angela Merkel, l’ovni en politique et C’était Merkel) ainsi qu’une passionnante série de portraits (Merkel d’Est en Ouest) pour le journal Le Monde.
Les plafonds de verre pulvérisés
Comment cette chercheuse en chimie quantique est-elle devenue la femme la plus puissante du monde ? Comment a-t-elle brisé plusieurs plafonds de verre sans faire de bruit ?
Fille d’un pasteur et d’une institutrice, Angela Dorothea Merkel naît le 17 juillet 1954 à Hambourg. Sa famille se rend ensuite dans le Brandebourg, en Allemagne de l’Est, où elle passe son enfance. Comme beaucoup en RDA, elle est membre de mouvements de jeunesse communistes.
En 1978, elle entreprend des études de physique à l’université de Leipzig. Après avoir obtenu son doctorat en 1986, elle travaille à l’Institut de physique-chimie de l’académie des sciences de RDA.
À partir des années 1990, elle connaît une rapide ascension politique. Elle entre tout d’abord dans la compétition électorale pour le bureau politique Demokratischer Aufbruch, mouvement d’opposition au communisme, avant d’être nommée porte-parole du dernier gouvernement de RDA. Après la réunification de l’Allemagne, elle devient membre du parti chrétien-démocrate CDU et est élue au parlement. Sous la chancellerie d’Helmut Kohl, elle occupe successivement les postes de ministre fédéral des Femmes et de la Jeunesse (devenant ainsi la plus jeune ministre de l’histoire de l’Allemagne), puis de ministre de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire.
En 1998, elle prend la tête de la CDU, devenant la première femme à diriger le parti. Sept années plus tard, elle est élue chancelière. Elle est reconduite à ce poste en 2009, 2013 et 2017.
Une femme sans vanité
Toujours selon Marion Van Renterghem qui ne cache pas une certaine fascination pour cette « femme sans vanité », derrière son sourire placide, « Mutti » (maman), comme on l’appelle volontiers en Allemagne, se révèle une détermination sans faille. « Elle n’affronte pas ses adversaires […] comme les mâles en ont l’habitude dans la jungle politique : elle les attaque tout en douceur et les laisse s’éliminer entre eux », souligne la grand reporter.
Si « sa politique a plus consisté à gérer les crises qu’à insuffler de grands projets », il faut toutefois retenir sa décision audacieuse en 2011 de sortir définitivement l’Allemagne du nucléaire ou, en 2015, d’accueillir plus d’un million de réfugiés dans le pays, une mesure historique qui lui a valu les éloges de la presse internationale mais lui a coûté très cher politiquement. Aujourd’hui, grâce à sa gestion de l’épidémie, elle est au fait de sa popularité. Sa cote atteignait 74 % d’opinions favorables en novembre dernier, soit 21 points de plus qu’en mars, au début de l’épidémie de Covid-19.
Un personnage de fiction
Au fil du temps, Angela Markel est devenue un personnage de fiction très prisé. Le fameux mois de septembre 2015 où elle décide d’ouvrir les frontières du pays pour laisser passer la plus grande vague de réfugiés depuis la guerre en ex-Yougoslavie a inspiré l’écrivain Konstantin Richter qui lui a consacré un roman (Die Kanzlerin) en 2017.
En 2020, la chancelière est l’héroïne du film Die Getriebenen, qui retrace lui aussi les soixante-trois jours précédant la décision d’accueillir près d’un million de réfugiés. La simplicité apparente de sa vie quotidienne fascine elle aussi. En 2015, elle est le personnage d’une comédie satirique (La Chancelière perd la tête, réalisée par Markus Imboden d’après un roman de Katharina Münk). Il faut dire que quand elle est en week-end dans sa maison de campagne du Brandebourg, les riverains peuvent la voir se détendre au lac. En pleine crise sanitaire, on l’a vue pousser son chariot dans un supermarché berlinois. Comme le dit Konstantin Richter, « C’est étrange de voir un tel personnage de l’histoire contemporaine dans la rue le matin ».
Modestie et intégrité : jusqu’au bout, Angela Merkel demeure fidèle à cette ligne de conduite. Comme en ce jour de mars 2021, lorsqu’elle n’a pas hésité à demander pardon à ses concitoyennes et concitoyens pour les mesures trop sévères prises durant la crise sanitaire. Une exception parmi les leaders politique…