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Adeline & Camille, Conductrices de TER AURA

Dans le cadre du passage du Train pour l’Egalité à Grenoble et à Lyon les 3 et 4 mars 2022, l’ambassade Rhône-Alpes et l’ambassade Traction ont eu l’occasion de rencontrer Adeline et Camille. Elles sont conductrices de TER AURA, attachées au dépôt de Grenoble où travaillent 90 agents. Elles ont accepté de témoigner au sujet de leur métier, après avoir eu l’occasion de conduire le Train de la Fondation des Femmes.

Publié le 29/03/2022 à 14:02
  • Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, et présenter votre parcours ?

Camille : J’ai 34 ans, et je suis conductrice depuis toujours. J’ai tenté ma chance à la SNCF pendant mes études qui ne me plaisaient pas : un BTS Mécanique et Automatismes Industriels. J’avais arrêté et ne savais pas quoi faire à la place. Je réfléchissais à des reconversions mais à chaque fois il n’y avait pas la flamme, et c’est ce qui m’a amené à décider de travailler. J’ai donc passé les entretiens pour intégrer la SNCF et devenir conductrice. Je pensais que mon âge serait un frein car je ne n’avais que 19 ans au moment du recrutement, et pourtant c’est passé !

Adeline : J’ai 29 ans, et je suis ici par hasard. J’ai fait un BTS dans le bâtiment, que j’ai validé, mais je suis partie de ce monde après quelques stages. Ensuite, je suis allée faire des saisons en restauration, en villages vacances ou en centres pour enfants, mais aussi des cueillettes de fruits saisonnières. Puis à 21 ans, j’ai commencé l’école des conducteurs et conductrices de train, et donc me voici à la SNCF depuis 8 ans.

 

  • Pourquoi avoir décidé de faire ce métier ?

Camille : J’avais un ami dont le père était conducteur de TGV, donc cela m’a donné une première idée du métier. De plus, je n’étais pas à l’aise avec le contact auprès des gens, je voulais être en autonomie et je préférais travailler seule donc le métier m’attirait aussi pour cela. Et puis, j’aimais bien conduire un peu tout, que ce soit la voiture ou la moto.

Adeline : J’ai vu un jour une annonce de recrutement pour la conduite pendant que je faisais mes saisons. J’aimais bien conduire aussi, donc je me suis dit pourquoi pas. Et surtout, il y a le contexte dans lequel j’étais : je faisais beaucoup de petits boulots et c’est en voyant des collègues plus âgés que je me suis interrogée sur ce que je voulais faire comme métier pour longtemps. J’ai pensé que je voulais une meilleure situation, et que ce serait bien d’intégrer un grand groupe. Pourtant je ne connaissais pas les métiers de la SNCF, cette annonce m’a donc amenée à tenter la conduite.

 

  • Quelles difficultés dans ce métier pouvez-vous rencontrer ?

Camille : Le travail est très monotone, c’est compliqué parfois. La plupart du temps tu fais la même chose, la même ligne. Il y a la fatigue aussi, car le rythme est compliqué, notamment avec nos horaires décalés.

Adeline : On est très seules dans nos cabines, même si on a ce désir d’autonomie. Il y a beaucoup de personnes qui gravitent autour de nous, mais on ne les voit pas, et cela nous manque. On sait que l’on n’est pas toutes seules, mais dans le train à l’instant donné, on l’est, notamment face à certaines situations compliquées. De plus, le cadre est très serré et contraignant. Si un train doit partir à 5h07, tu dois être là pour ta prise de service. Contrairement à certains métiers, on ne peut pas se dire que si on est en retard d’une heure un jour, on peut rattraper le lendemain, cela ne marche pas comme ça. Même un retard de 10 minutes, cela n’est pas envisageable.

 

  • Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier, de quoi en êtes-vous fières ?

Camille : Juste se dire que l’on conduit un train, que l’on sait faire ça, c’est cool. Je suis fière de dire aux gens ce que je fais. A côté, ce que j’aime bien aussi, c’est voir le paysage le long des voies, apercevoir les gens nous saluer de loin ou parfois, de croiser un cerf et des biches qui traversent la voie. On pourrait se dire que ce n’est rien, mais ça fait plaisir. Si je n’avais pas été dans mon train je ne les aurais pas vus. J’aime bien l’idée de faire un peu partie du paysage.

Adeline : C’est vrai qu’il y a toujours ce petit plaisir quotidien quand on me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds que je conduis un train. Même après 8 ans, j’ai toujours cette fierté. En parallèle, comme disait Camille, c’est vrai que l’on a des petits plaisirs, des petites joies qui font que l’on se rend compte que l’on ne les vivrait pas si on ne faisait pas ce métier. Voir le lever du soleil en étant dans la cabine, je me dis que je ne pourrais pas le voir si j’étais enfermée dans un bureau, par exemple. Et on a des moments un peu exceptionnels aussi, comme Le Train pour l’Egalité par exemple, cela nous fait sortir de notre quotidien, on était très curieuses à l’idée de le conduire, et contentes de le voir ! Enfin cette autonomie aussi qui me plaît beaucoup.

 

  • Dans quelle mesure pensez-vous avoir trouvé un équilibre entre votre vie pro et perso, dû aux conditions du métier ?

Camille : J’ai souvent l’impression que je cale ma vie par rapport à mon boulot. Je m’organise en fonction de cela, et certaines choses doivent être sacrifiées. Tout ce qui est activités fixes par exemple, comme aller à un club le soir tel jour à telle heure, ce n’est pas possible. Car souvent soit tu te couches tôt, car le lendemain tu travailles tôt, soit tu es au boulot ou en déplacement. Après, à Grenoble, ils font toujours leur possible quand tu as un imprévu, une urgence, pour t’aider et te dépanner si tu as besoin d’avoir une journée qui t’arrange.

Adeline : Quand je travaillais sur Paris au début il y avait la possibilité de faire des choses car on y était plus nombreux et nombreuses. Tu pouvais t’arranger pour mieux organiser ta vie. En Province, il y a peu d’agents de conduite à la journée et c’est donc très difficile de faire des changements de dernières minutes sans léser quelqu’un d’autre. Tu dois donc caler ta vie en fonction de ton travail, c’est donc difficile de s’engager sur certaines activités. Et le rythme fait qu’il est compliqué d’être disponible pour la famille et les ami.e.s, c’est difficile d’être présent, même si la famille comprend.

 

  • Est-ce que selon vous il y a des stéréotypes sur le métier de conducteur/conductrice ?

Camille : On m’a souvent demandé « A quoi tu sers ? », ou alors on me disait que j’étais trop payée pour ce que je faisais. Autre chose, on s’imagine souvent qu’à la conduite du train, il y a UN conducteur. Je n’ai jamais vraiment eu de mauvaises expériences par rapport à cela, mais c’est vrai que j’ai pu voir la surprise des gens lorsqu’ils réalisent qu’il y aussi des femmes qui conduisent. J’ai parfois eu des remarques sur le fait que je sois une femme, mais aussi lorsque j’ai débuté, en lien avec mon âge.

Adeline : C’est vrai qu’en général, les personnes ne connaissent pas bien notre métier. Moi la première, avant de rentrer à la SNCF, je ne savais pas qu’une personne conduisait le train car je croyais que c’était automatisé ! Une fois que les personnes que l’on croise sont au courant qu’il y a en effet un conducteur ou une conductrice dans la cabine, elles se demandent à quoi on sert. Et puis en effet, comme l’a dit Camille, les gens pensent que c’est un métier d’hommes. Je le ressens même en tant que monitrice, les gens s’adressent automatiquement à mon stagiaire car ils n’intègrent pas le fait que je sois conductrice et monitrice.

 

  • Quel est votre ressenti sur la prise en compte de la mixité au sein de votre métier ? Qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour l’améliorer ?

Camille : On partage le vestiaire avec les contrôleuses parce qu’il n’y a pas de vestiaires pour les conductrices. Il y a, en parallèle, quelque chose qui m’a longtemps marqué quand j’étais sur Paris et qui peut sembler pourtant léger : le catalogue de vêtements grâce auquel tu peux commander chaque année tes tenues. Avant c’était exclusivement pour hommes, et prendre une taille S ne suffisait pas. Heureusement, depuis environ deux ans cela n’est plus le cas. A Grenoble d’ailleurs ils ont été réactifs quand on leur a fait part de ce problème, et ils nous ont proposé des solutions avant que le catalogue ne soit modifié. On se rend compte quand même qu’entre 2006 où je suis arrivée, et 2020, cela a pris énormément de temps à l’entreprise pour ajouter des vêtements pour femmes dans un catalogue. En fait, il y a des fois un décalage entre ce que veut le groupe SNCF et ce qui se passe sur le terrain. Pas au niveau des conducteurs et des managers, personnellement je n’ai jamais eu de problème avec mes collègues proches ou mes chefs, mais sur la logistique il y a des choses qui ne sont pas encore prises en compte. Heureusement, on sent que les choses évoluent.

Adeline : Je pense aussi en effet beaucoup à la partie « technique » : les toilettes, les vestiaires, pour ce genre de choses il y a encore des actions à faire. Cela ne m’a jamais dérangée d’aller dans les toilettes des hommes, mais en attendant ce peut être problématique pour certaines. En fait, ce n’est pas grave de devoir parfois partager le vestiaire des hommes parce qu’il y a des travaux dans le vestiaire des contrôleuses, mais ça induit un message tout de même, bien qu’il soit inconscient, qui est « Il n’y a pas de vestiaires pour conductrices, donc il n’y a pas de conductrices ». Ensuite, par rapport à ce qu’on disait au sujet des vêtements, on se rend compte qu’il y a des éléments qui paraissent si « simples » à changer, parce que cela change tout ensuite sur le ressenti de cette prise en compte de la mixité. Il faut juste faire l’effort d’intégrer le fait qu’il y ait des conductrices comme nous, pour montrer que nous sommes prises en considération, pour montrer que l’on sait qu’il n’y a plus seulement que des hommes dans ce métier.

 

  • Quel est votre avis sur le fait qu’il y ait peu de conductrices ? A votre avis, qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour féminiser le recrutement ?

Camille : Il y a plusieurs pistes. A l’époque où je suis entrée en 2006, on demandait encore des études techniques. Au lycée technique il y a très peu de filles, donc cela fait déjà une difficulté pour féminiser le métier. Aujourd’hui, c’est plus ouvert au recrutement, mais je pense surtout que c’est parce que les femmes n’y pensent pas. Et c’est probablement dû à l’éducation, on est formaté depuis toujours à pouvoir faire certaines choses, et inconsciemment on choisit une voie en fonction de ce qui nous a été inculqué. Pourtant, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, il est plus simple pour un homme d’aller vers des métiers ou des activités dites « féminines » que l’inverse.

Adeline : Il y a un manque de représentations. Quand j’étais petite je voulais être grutière, mais je ne me suis jamais projetée car je ne voyais jamais une femme conduire une grue. Donc, il est déjà très rare de rencontrer des conducteurs de train, mais des conductrices de train, c’est d’autant plus compliqué. Et c’est donc qu’il y a un énorme travail de communication à faire. Mais on le voit en ce moment, sur les réseaux sociaux par exemple, il y a une volonté du Groupe de représenter les femmes dans le métier de la conduite. On voit des vidéos passer pour essayer de donner l’envie, mais aussi l’idée ! Parce qu’avant l’envie, il faut avoir l’idée, on ne peut pas se dire que l’on va conduire un train si d’abord, on ne sait pas que quelqu’un conduit un train, et si on ne se doute pas qu’il y ait des femmes conductrices. En fait, cette question de représentation, c’est également beaucoup une question d’éducation, et les jouets, souvent, y sont pour quelque chose.

Camille : Au niveau du recrutement les choses sont en train de changer. Nos collègues masculins sont plus nombreux à ne pas avoir fait d’études techniques et se reconvertissent pour être conducteurs. Les femmes aussi peuvent le faire, il faut juste y penser.

Adeline : La SNCF va chercher un profil plutôt qu’un bagage d’études. Ce qu’il faut, c’est de l’investissement !