Le blues de la mixité
La dernière évaluation des actions publiques en faveur de la mixité des métiers remonte à 2016. L’inspection générale des affaires sociales (IGAS), à qui cette mission avait été confiée, tirait des conclusions en demi-teinte : « Alors que femmes et hommes sont aujourd’hui à parts quasiment égales dans la population active, la mixité des métiers a globalement progressé, mais à un rythme extrêmement lent. » En effet ! Sachant qu’une profession est considérée comme mixte lorsque les hommes et les femmes représentent une part comprise entre 40 et 60 % de ses effectifs, aujourd’hui encore, seuls 17 % des métiers sont mixtes.
Une très forte concentration
Malgré de réels progrès dans les politiques de recrutement des entreprises et dans la lutte contre les stéréotypes – voire notamment l’appel très récent de dirigeants de grands groupes à développer la mixité femmes-hommes – et bien qu’elles soient aujourd’hui deux fois plus nombreuses à être cadres supérieurs qu’en 1982, les femmes travaillent à 88 % dans le tertiaire et continuent à être surreprésentées dans un petit nombre de secteurs. Elles le sont notamment dans les métiers peu qualifiés. Ainsi des services à la personne, du soin ou de la propreté. Par ailleurs, dans les secteurs très féminisés qui requièrent des qualifications comme l’enseignement, elles sont à 84 % professeures des écoles, 59 % dans le secondaire, et 39 % dans le supérieur. Enfin, trois quarts des emplois du secteur de la santé sont occupés par des femmes. Elles sont 87 % à exercer le métier d’infirmière et, avec 59 % de femmes parmi les nouveaux médecins, la féminisation de la profession se confirme.
Les geeks non mixtes
A l’inverse, dans les métiers du numérique, très porteurs en termes de recrutement, la mixité s’érode d’année en année. Alors que le secteur de l’informatique était le deuxième en nombre de femmes diplômées dans les années 1980, elles y sont de moins en moins représentées. Selon la fondation Femmes@numérique, à peine 33 % des emplois dans ce domaine sont occupés par des femmes et, parmi elles, seulement 15 % occupent des fonctions techniques, la majorité travaillant dans les fonctions supports. Évidemment, c’est du côté des stéréotypes de genre que se trouve comme souvent l’explication. La figure du geek, apparue dans les années 1980, demeure très puissante. Pour inverser la tendance, les initiatives se multiplient : partages d’expérience, tutorat, mise en avant de modèles féminins… Des groupes de femmes se développent aussi, comme Duchess France , Women on Rails , Les Hackeuses, Girls in Tech ou Open Héroïnes pour valoriser les compétences de leurs membres.
Une question de mathématiques
610 à 820 milliards d’euros de plus d’ici 2050 ! C’est ce que rapporterait à l’Europe la fin des disparités dans le secteur des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM) selon le rapport Les femmes au cœur de l’économie remis en janvier dernier aux pouvoirs publics par Chiara Corazza, directrice du Women’s forum. Pour l’heure, la France est en dessous de la moyenne européenne pour la part de femmes dans la recherche en science (28 % contre 33 % au sein de l’Union européenne). Les professeures d’université sont également sous représentées dans le domaine des STEM où elles ne sont que 21,9 %. Idem dans l’intelligence artificielle où on ne compte que 22 % de femmes dans les métiers d’expert ou de concepteur et, dans la tech, où neuf postes à responsabilités sur dix sont trustés par les hommes.
La mixité à petite vitesse
Si la Russie a été le premier pays à envoyer une femme dans l’espace, Valentina Terechkova, il aura fallu attendre 2019 pour que Moscou lève l’interdiction faite aux femmes de conduire un métro. Dans la foulée, le ministère du Travail du pays a annoncé que plus de 400 métiers, dont celui de conducteur de train, seraient enfin accessibles aux femmes dès… 2021. L’Ukraine avaient abrogé en 2015 cette réglementation datant de l’ère soviétique privant les femmes de la conduite de poids lourds, trains, locomotives, trams et bus.
En France, si les femmes restent sous-représentées dans les métiers de la conduite de train, tram, métro et bus, la féminisation du métier avance à petite vitesse. A la RATP, la part de femmes parmi les cadres de la Régie est de 35,6 %, mais le chiffre tombe à 15 % chez les conducteurs de train et à 9 % chez les machinistes au volant des bus. Rappelons qu’à la SNCF, la part de femmes chez les conducteurs de trains est de 4 %.
La finance, une histoire d’hommes ?
Dans les métiers de la finance et du conseil, grimper dans la hiérarchie semble encore s’apparenter pour les femmes à un parcours du combattant. Si les écoles de commerce font un travail de sensibilisation à ces questions et si certaines entreprises mettent en place des programmes d’accompagnement des femmes dans leur évolution de carrière (présentation de modèles inspirants, ateliers de développement personnel, ateliers de retour de congé maternité pour encourager à exprimer ses besoins en termes d’évolution de carrière), la mixité est loin d’être la règle. Les comités de direction des grands groupes financiers français cotés ne comptent que 7 % de femmes. Dans le milieu bancaire, les femmes représentent un tiers des managers, mais seulement 15 % de l’exécutif du plus haut niveau.
Lento ma non troppo
Un mouvement lent mais continu de féminisation semble en marche dans le secteur de la culture. En effet, 43 % des professionnels de la culture sont des femmes. Toutefois, certains métiers prestigieux, comme celui de chef d’orchestre, restent des bastions hyper masculins. Ainsi, le mensuel Diapason de février 2018 notait que sur 744 orchestres professionnels permanents recensés dans le monde, 32 avaient à leur tête une directrice musicale, soit 4,3 %. Mais, là aussi, les choses changent petit à petit. Ainsi, l’Orchestre de Paris a fait appel à cinq cheffes d’orchestre pour sa programmation 2019-2020 à la Philharmonie de Paris.
Par ailleurs, dans les métiers de l’architecture, si la part de femmes architectes a grimpé de 16,6 % à 28,6 % depuis l’an 2000, elles sont encore très peu à diriger une agence en leur nom propre en France, comme le souligne l’enseignante-chercheuse, Stéphanie Dadour, qui travaille sur les rapports entre féminisme et architecture.
Chantier en cours…
Sans surprise les femmes sont très minoritaires dans le secteur du BTP. En 2017, elles représentaient 11,9 % des salariés du bâtiment, contre 8,6 % en 2000. Derrière ces chiffres se cachent de fortes disparités selon les postes occupés. Hormis les 1,5 % d’ouvrières, elles occupent surtout des fonctions administratives. Néanmoins, plus de 50 % des entreprises sont dirigées ou codirigées par des femmes, et les plus grands groupes se mobilisent en faveur de la mixité. Un plan pour la mixité dans le secteur de l’artisanat du bâtiment a par ailleurs été signé en 2015 avec la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et vise à atteindre la mixité dans un tiers des métiers d’ici à 2025.
A la conquête de Mars
Bien sûr, il y a des contre-exemples foudroyants. Ainsi, si elles ne sont encore que 387 sur les 10 605 CRS que compte la France, soit moins de 4 % des effectifs, c’est une femme, Pascale Regnault-Dubois, qui a été nommée à leur tête en août 2020. La sociologue Geneviève Pruvost souligne à ce titre que la police est l’un des rares corps de métier à avoir connu une « pyramide inversée », soit une féminisation par le haut, et notamment chez les CRS. Autre nouvelle tonitruante : les Émirats arabes unis ont lancé en juillet de cette année leur sonde « Hope » en direction de Mars dans le cadre d’une mission dont l’équipe scientifique est composée de femmes à… 90 %.
Où sont les hommes ?
A contrario, certains métiers peinent à s’ouvrir aux hommes. Il faut dire que peu d’actions sont menées par les pouvoirs publics pour les encourager à investir les professions féminisées. Si le métier de sage-femme leur est accessible depuis 1982, à la suite d’une directive européenne portant sur la non-discrimination sexuée dans toutes les professions, ils ne sont encore que 2,71 % à l’exercer. Idem dans le secteur de la petite enfance où les hommes ne représentent pas plus de 1% des effectifs. Des métiers qui leurs sont pourtant accessibles depuis 1973 pour les éducateurs de jeunes enfants (EJE) et depuis 1983 pour l’ensemble des professions de la petite enfance.