Peux-tu te présenter en quelques mots, et présenter ton parcours ?
Je m’appelle Alice, je suis actuellement Dirigeante de l’Unité Opérationnelle Electronique (DUO) au Technicentre Industriel de Vénissieux. C’est une Unité Opérationnelle (UO) d’entre 90 et 100 personnes, et cela fait un an et demi que j’ai pris ce poste.
Je suis de Grenoble, et j’ai fait une école d’ingénieurs en Génie Electrique à Toulouse, où j’ai eu mon diplôme en 2005. J’ai travaillé un peu dans le privé au début de ma carrière chez PSA, et j’ai aussi travaillé pendant 3 ans à la RATP. J’ai ensuite intégré la SNCF en 2009 au Pôle Ingénierie, sur les moteurs électriques : j’ai d’abord été Adjointe du Chef de groupe de l’ingénierie « Composants Clés sur moteurs », puis je suis passée Cheffe de groupe d’une équipe d’une dizaine de personnes, essentiellement des techniciens. Ensuite, j’ai rejoint en 2016 le Pôle Affaires du Technicentre Industriel de Vénissieux, toujours sur les moteurs électriques.
Depuis janvier 2021, je suis DUO Electronique. Dans notre Technicentre on a deux UO : l’UO des moteurs électriques où 130 personnes travaillent, et l’UO électronique où on est entre 90 et 100 personnes. Il faut savoir que j’avais fait toute ma carrière dans les moteurs électriques, donc de passer sur d’autres produits qui sont les cartes électroniques et les convertisseurs de puissance, cela a été un grand changement, mais c’est ce qui m’a permis de me concentrer sur tout ce qui est management et humain.
En quoi consiste ton métier ?
Dans mon UO, on répare des Pièces Réparables du Matériel (PRM). Si une pièce d’un train est défectueuse ou si elle nécessite d’être révisée, elle nous est envoyée par camion au Technicentre Industriel pour être réparée. Nous réparons des cartes électroniques et des convertisseurs de puissance. Le poste de DUO quant à lui est un poste de management. Il consiste pour moi à manager six Dirigeants de Proximité (DPX), qui ont chacun une équipe de 10 à 20 agents, pour faire en sorte que la production sorte dans le respect des délais, de la sécurité, des coûts, et enfin de la qualité. Sur ce poste c’est aussi énormément d’humain, il y a beaucoup de soutien et de coaching à apporter aux DPX, car ce sont les personnes au front avec les Opérateurs de Production. Il faut donc les aider, les soutenir, les faire grandir sur leur management également, et enfin, être là quand il y en a besoin, pour certains sujets disciplinaires, d’évolution de carrière, etc. C’est aussi à moi de leur donner chaque année des objectifs chiffrés sur la qualité, sur le respect des délais, etc. Et il y a derrière un suivi au cours de l’année, pour voir si ces objectifs sont atteints, mais aussi pour comprendre quelles seraient les causes de non-production, pour trouver comment y remédier.
Qu’est-ce qui t’a motivée à occuper ce poste ? Et qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce métier, cette fonction que tu occupes ?
D’abord l’aspect relations humaines, c’est d’ailleurs aujourd’hui ce qui me plaît le plus dans ce poste car c’est très enrichissant, c’est passionnant et cela me fait grandir ! Quand j’ai pris ce poste, ce que je voulais c’était de pouvoir progresser sur ces sujets « humains ». C’est quelque chose qui me tient à cœur, d’ailleurs j’aimerais pouvoir à l’avenir occuper un poste de coach comme on en bénéficie aujourd’hui au niveau de mon équipe, pour aider et accompagner les équipes et les managers. C’est un peu un poste de rêve pour moi !
Ensuite, ce qui me plaît énormément c’est le fait d’être au cœur du système : de pouvoir interagir avec tout le monde, d’être au centre. Avant, quand j’étais sur mon poste de Chargée d’Affaires, j’avais comme le sentiment d’être un peu à côté de la plaque, de ne pas être au centre du jeu. Alors qu’ici, je suis dans l’opérationnel au quotidien, avec une sollicitation externe permanente, les journées passent donc à grande vitesse. La question du sens au travail ne se pose pas ! De plus, il y a une grande diversité de missions : un jour on fait de la qualité, un autre jour on fait de la sécurité, on ne s’ennuie pas sur ce poste, et c’est aussi ce que je cherchais.
Quelles sont les difficultés liées à ton métier que tu peux rencontrer ?
Ce qui est difficile c’est que c’est un poste qui vient mettre à mal la confiance en soi que l’on peut avoir. On est au cœur du système, il y a énormément de personnes qui attendent des décisions de notre part. C’est particulièrement difficile sur une prise de poste. On doit apporter des réponses, on doit apporter des décisions dans l’incertitude totale. En tout cas c’est quelque chose qui me faisait peur, ça va de mieux en mieux, heureusement, mais tout cela peut ébranler la confiance en soi.
Il y a aussi la peur de faire les mauvais choix pour le collectif, et la pression du comité de direction car il faut apporter des réponses pertinentes. Il m’arrive parfois d’être gagnée par le syndrome de l’impostrice : je peux, dans certaines situations, me retrouver à me demander ce que je fais là. Il faut donc parvenir à se relever, et se dire qu’on est sûr·e de soi, de ses qualités, de ses valeurs. Voilà donc un aspect difficile sur ce poste. On est sous le feu des projecteurs, et c’est pourquoi on a peur de faire des ratés, d’être jugé incompétent·e, en particulier quand on est une femme. Et ce ressenti, je me le créé moi-même, les autres ne me le renvoient pas, mais j’avoue qu’au niveau de la légitimité technique, j’ai eu cette crainte qui est exacerbée parce que je suis une femme et que je prends un poste de Cheffe.
Heureusement, je ne suis pas dans un style de management dirigiste, mais plutôt collaboratif. Cela m’aide beaucoup à me dire que personne n’est parfait, que tout le monde a ses forces et ses faiblesses, et donc que c’est le collectif, le groupe, qui va permettre à chacun et chacune de jouer sur la complémentarité. Il est donc possible de déléguer, et on peut de cette façon se dire qu’ensemble, on est meilleur ! Chacun·e peut renforcer les forces de l’autre, et combler les faiblesses de l’autre. Et j’y crois fort, cette mentalité m’aide donc énormément par rapport à mes craintes, car j’essaye de faire en sorte que les décisions viennent plus du collectif que d’une seule personne.
Quel est ton ressenti sur la prise en compte de la mixité dans les métiers du Matériel ? Est-ce que tu sens que les choses ont changé en faveur de l’égalité femmes-hommes au sein de la SNCF, ces dernières années ?
On en parle beaucoup, du sujet de la mixité, surtout sur ces dernières années, et c’est déjà un point positif. Il y a également des sensibilisations et des accompagnements qui sont faits, je sens en tout cas que les mentalités ont évolué. Personnellement, je n’ai pas aujourd’hui le sentiment que sur mon Technicentre il y a de la discrimination qui est faite, je n’assiste pas au quotidien à du sexisme, en tout cas ce ne sont pas des choses auxquelles je suis confrontée. Je pense en tout cas qu’il y a dû avoir de gros progrès qui ont été faits, par rapport à avant où dans les ateliers on pouvait voir des affiches de filles dénudées, ce genre de choses qui pouvaient mettre mal à l’aise les femmes. Ces choses-là ont disparu.
On a la chance ici d’être dans un Technicentre qui est tout neuf, donc tout ce qui pouvait être lié au manque de sanitaires pour femmes, au manque de tenues pour les femmes, ça a complètement été réglé depuis que l’on a déménagé : tout le monde a des tenues, en modèles hommes et femmes, il y a des toilettes pour les hommes et pour les femmes.
En revanche, aujourd’hui, il y a très peu de femmes dans les ateliers, et cela progresse très peu. On le regrette, car il y a plein d’avantages à avoir de la mixité en entreprise ! Cela amène de la diversité, et avoir des femmes dans les ateliers amène d’autres points de vue. Mais en termes de nombre de femmes dans les ateliers, c’est un fait, elles sont peu nombreuses.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment que dans mon établissement, dans ma Direction, dans mon entourage professionnel, il n’y a pas de distinctions faites entre les hommes et les femmes. En fait, je sens que l’on a un traitement égalitaire. Mais sur certains sujets, comme la parentalité par exemple, il n’y a pas forcément un traitement d’équité. C’est agréable et appréciable de voir qu’il n’y a pas un traitement différencié pour les hommes et les femmes, en revanche, il n’y a pas forcément une prise en compte des contraintes qu’ont encore malheureusement les femmes. Car oui, la réalité aujourd’hui encore c’est que les mères de familles ont plus d’obligations que les hommes, liées à leurs enfants et les horaires. C’est un sujet compliqué car c’est un problème de société, on peut se demander à quel point une entreprise doit prendre en compte les problématiques de société, dans la gestion en toute équité de ses collaborateurs et collaboratrices.
Selon toi, qu’est-ce qui pourrait être mis en place prioritairement pour féminiser le domaine industriel ?
Pour moi, le problème devrait être réglé à la source, c’est-à-dire dès les études. J’ai fait des études en électrotechniques, car quand j’étais petite, avec mon père on faisait du bricolage, on utilisait un fer à souder, je lisais des revues de sciences etc. J’ai donc toujours baigné là-dedans, car mon père ne faisait pas de distinction entre mon frère et moi, il nous a donc poussé tous les deux vers la technique et les sciences. Et selon moi, il y a tout un tas de petites filles qui manquent de modèles, que ce soit masculins ou féminins, qui pourraient leur dire que c’est possible pour elles de faire de la technique, et qu’il n’y a pas de configuration de cerveau qui fait que tu peux ou non exercer ces métiers parce que tu es un homme ou une femme. Il faut leur dire que si elles ont envie d’y aller, si ça leur plaît, il faut y aller !
Chez nous, une chose que l’on voudrait faire c’est d’aller dans les collèges, les lycées, et dès le Bac Professionnel, pour parler de nos métiers. Parce que sinon, on aura toujours le même problème à l’embauche : il n’y aura pas de femmes. Il faut agir dès les études en donnant envie aux filles de s’orienter vers des métiers techniques. Il serait donc bien de proposer des visites, de leur parler de ce que l’on fait, et leur montrer qu’il y a des femmes qui le font, pour qu’elles puissent se projeter dans des modèles féminins.