Quelle est l’origine de cette étude ?
Agnès Huchon : Tout est parti d’un questionnement. La sécurité est une priorité à la SNCF. Elle repose sur un vaste corpus de procédures à appliquer et de comportements à adopter, notamment au travers de « compétences non techniques » (CNT), telles que la communication, la coopération, la gestion du doute et la remontée d’erreur, la maîtrise de soi…
D’autre part, les métiers de la sécurité sont exercés majoritairement par des hommes. Je me suis donc demandé si les manifestations de virilité, qu’on observe parfois dans au sein de groupe essentiellement masculins, étaient bien compatibles avec la mise en pratique des CNT. Pour vérifier cette hypothèse, SNCF Mixité a souhaité lancer une étude et s’est rapprochée de la direction de la Sécurité.
Gaël Barbier : Lorsque Agnès et Anne-Sophie sont venues nous exposer le projet, à Damien Pallant, directeur Sécurité Voyageurs à l’époque, et à moi-même, nous avons immédiatement été partants pour en être les sponsors. Certes, faire intervenir un réseau comme SNCF Mixité pour nous faire progresser dans le domaine de la sécurité peut sembler déroutant mais nous avons estimé qu’une approche nouvelle du sujet, plus sociologique, pouvait se révéler féconde. On ne s’était encore jamais demandé si la mise en œuvre des Compétences Non Techniques pouvait être facilitée ou, a contrario, rendue plus difficile, selon la mixité des équipes. Membre, à titre personnel du réseau, j’ai considéré que cette étude était l’occasion de questionner nos représentations et de nous faire progresser tant sur l’aspect mixité que sécurité.
Quelle a été la méthodologie de cette étude ?
Agnès Huchon : L’étude a été menée par deux sociologues1, en immersion d’une semaine dans trois métiers (la circulation, la sûreté et la maintenance) dans trois SA différentes.
Gaël Barbier :
Il faut veiller à ne pas généraliser à toute la SNCF des résultats issus de l’étude de seulement trois collectifs. Pour autant, les résultats sont très riches et sont porteurs d’enseignement bien au-delà de la sécurité.
Au fait, qu’entend-on par « comportements virils » ?
Agnès Huchon et Gaël Barbier : Nous sommes tombés d’accord sur cette définition de la virilité : « La virilité est une manière de pousser aux limites certaines qualités attendues d’un homme. Idéal de performance, d’autorité, de dépassement de soi et d’endurance, d’aptitude au combat et à la violence. Tous les hommes ne sont pas virils, certaines femmes sont viriles »
Venons-en aux conclusions de l’étude. Qu’a-t-elle mis en lumière ?
Agnès Huchon : L’étude a confirmé qu’il existe bien une culture de la virilité dans les métiers observés. Cela apparaît nettement dans la façon dont sont décrits l’environnement de travail et les compétences nécessaires pour tenir ces postes.
Celles-ci sont identifiées comme masculines : la force, le courage, l’endurance… Les femmes sont « acceptées » car elles sont vues comme ayant des « qualités spécifiques » – la douceur, la minutie… – et/ou parce ce qu’elles s’adaptent à la culture existante – en agissant « comme des mecs ».
L’étude confirme également que ces comportements ont un impact négatif sur l’ancrage des CNT. Ils minimisent ou au contraire « héroïsent » les prises de risques, limitent l’expression du doute, la remontée d’erreur (notamment au nom de la solidarité), favorisent des communications frontales peu propices à la coopération, taisent certaines souffrances.
Enfin, l’étude montre que la présence des femmes a pour effet d’apaiser les communications du collectif, voire de libérer l’expression du doute. La mixité pourrait donc favoriser l’ancrage de ces CNT. Néanmoins, il faut noter que la modification des comportements en présence de femmes s’appuie sur des stéréotypes (les femmes seraient toujours plus douces dans leur communication, plus sensibles aux conflits, plus collaboratives…), ce qui reste problématique car en réalité tous les hommes ne se comportent pas de la même manière, ni toutes les femmes de la même manière.
Gaël Barbier : Cette étude bouscule. Elle nous aide à faire un pas de côté, à nous questionner et c’est précieux.
Elle apporte des enseignements allant au-delà du sujet de la virilité, comme par exemple la perception de certaines règles vécues comme imposées par la hiérarchie « d’en haut » qui les prend « du bureau » sans connaître le métier. J’invite chacune et chacun à la découvrir sans a priori et à la considérer comme une véritable opportunité de réfléchir et de s’interroger sur ses propres perceptions, sur ses comportements, sur son rapport aux stéréotypes de genre dans le cadre professionnel mais aussi personnel.
Quelles suites vont être données à cette étude ?
Agnès Huchon et Gaël Barbier : Nous sommes encore, à ce stade, dans la phase de partage de l’étude et de ses enseignements. Si des pistes d’actions naturelles se dégagent comme par exemple le fait de poursuivre sur la voie de plus de mixité dans les métiers, notamment de la sécurité, nous réfléchissons aussi à des compléments d’étude sur des métiers déjà plus féminisés.
Elle nous incite aussi à poursuivre le travail de libération de la parole, de moments et d’ateliers d’expression pour élargir notre perception et compréhension de ces thématiques. Nous encourageons toutes celles et ceux qui veulent se saisir de ce sujet à se rapprocher d’Anne-Sophie Nomblot.
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Agnès Huchon, dirigeante Agence bâtiments énergie Normandie et Ambassadrice Normandie
Gaël Barbier, directeur Sécurité Groupe, responsable du programme Prisme (programme de transformation de la culture sécurité), membre de SNCF Mixité